Juste pour le coup d’un soir ou deux, pas plus
Avec les législatives anticipées et des dates correspondant au début des vacances d’été, l’engouement pour les plateformes de procuration en ligne est réel. Grâce à son nom très bien trouvé, Planprocu.fr a attiré l’attention, mais le propriétaire du nom de domaine, ancien prestataire de la campagne d’Emmanuel Macron en 2017, pose aussi des questions. À Next, Titouan Galopin, qui a monté la startup Citipo, répond qu’il n’a plus d’engagement politique personnel. La meilleure solution reste de donner procuration à un proche, il en convient.
Depuis quelques années, beaucoup d’initiatives citoyennes ont essayé de mobiliser les Français autour des élections. On se souvient de la Primaire Populaire, par exemple. D’autres ont eu pour ambition de réduire l’abstention qui, si elle régresse aux Européennes depuis les premiers scrutins, reste importante.
Les partis politiques et les médias ont régulièrement essayé de mobiliser sans beaucoup de résultats. Cette année, à l’occasion des européennes, le site Planprocu.fr a émergé, notamment grâce à une communication (et surtout un nom) efficace. Certains partis politiques proposent aussi un outil similaire.
Dans tous les cas, le site officiel pour donner sa procuration est maprocuration.gouv.fr. La procédure peut se faire en ligne. Ensuite, « pour faire vérifier votre identité, déplacez-vous au commissariat, en gendarmerie ou au consulat, ou authentifiez-vous avec une identité numérique certifiée France Identité ». Les détails de la procédure se trouvent par là.
L’équipe de conception du site critiquée pour ses liens
La personne qui possède le nom de domaine ? Titouan Galopin. Celui-ci a cofondé Citipo, l’entreprise prestataire ayant fourni l’outil sur lequel s’appuie Planprocu.fr à l’association A voté. Mais ce nom a aussi soulevé des craintes :
Celui-ci a en effet participé activement à la campagne 2017 d’Emmanuel Macron. Un article d’Actu.fr publié cette année-là le présentait comme « l’architecte Internet d’Emmanuel Macron ». Contacté, il nous explique qu’il a, à l’époque, fourni une prestation de services informatiques après avoir noué des liens avec l’équipe de campagne lors d’un meeting du candidat : « effectivement, je ne l’aurais pas fait avec quelqu’un qui aurait été à l’opposé de mes idées ».
« Ça fait partie de mon historique et c’est ça qui a fait que j’ai une entreprise dans le domaine, car je le connais. Maintenant, je ne suis plus du tout investi depuis bien longtemps et je n’ai plus du tout d’engagement politique personnel. J’ai tout à fait le droit d’avoir une opinion politique et ce n’est pas pour ça que je vais détourner des voix », ajoute-t-il.
Concernant l’outil de procuration développé par Citipo, Titouan Galopin explique que « notre travail est de fournir un logiciel de mise en relation. Nous nous occupons que de la partie technologique. C’est en charge aux organisations de s’assurer de la fiabilité des échanges les uns avec les autres ».
Un cofondateur d’A voté maintenant conseiller du gouvernement
Citipo a livré l’outil à l’association A voté en pro bono. Celle-ci a été créée dans le but de mener des « campagnes de sensibilisation, de mobilisation et de plaidoyer pour une démocratie plus ouverte et plus inclusive ». Le lien entre les deux structures est assez éloquent puisque le cofondateur de Citipo, Adrien Duguet, est aussi membre de l’association.
Contactée par Next, A voté n’a pas répondu à nos sollicitations. Mais, selon les statuts de l’association, l’un de ses co-fondateurs est Grégoire Cazcarra. Créateur de l’app Elyze, le fameux « Tinder de la présidentielle », et a rejoint le gouvernement en 2022 en tant que conseiller en charge de la communication numérique et de la prospective.
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L’association a répondu à Numérama qu’elle n’avait « pas de lien » avec le gouvernement et ajoute, qu’« il n’y a pas de gens dans notre équipe qui font une campagne secrète ou autre ». Dorain Dreuil, le coprésident d’A Voté, assure à notre consœur que Grégoire Cazcarra a quitté l’association dès qu’il a rejoint le cabinet ministériel.
Une simple mise en relation
Mais Citipo n’a pas seulement créé l’outil pour A voté. La startup l’a aussi vendu à trois partis politiques à l’occasion des élections européennes : LR, Les écologistes et le PS.
Titouan Galopin nous explique que « le logiciel ne fait que mettre en relation des gens par email ou par téléphone selon leur préférence et après la personne disponible et celle qui a besoin d’une procuration peuvent discuter. Elles peuvent même se rencontrer pour établir la confiance et c’est à partir de là que la procuration peut avoir lieu ».
Quand on lui demande comment sont sélectionnées les personnes qui prennent les procurations, il nous explique que c’est à l’organisation de le décider : « typiquement, ils ont des bases de contacts et d’adhérents, etc. Nous n’avons pas la main là-dessus ni la visibilité sur comment ils s’organisent en interne ».
Une manipulation possible ?
La question de la manipulation de ces outils se pose. Des messages partagés sur les réseaux sociaux alertent notamment sur une possible infiltration par l’extrême droite.
la team faites attention à vos procurations si vous êtes passés par l'appli action populaire !!!! pic.twitter.com/gUdcBbrMa6
— instant crush (oomf fleuri) (@AlbionSunflower) June 14, 2024
Comme l’explique Checknews, « impossible de savoir si ces publications associées à l’extrême droite ont eu un impact sur les deux sites ». Interrogée, A voté a répondu que « le lien de confiance se situe ensuite entre le mandant et le mandataire, comme pour tous les outils de procuration. Si toutefois, l’un ou l’autre n’était pas ou plus à l’aise, il est possible de nous demander d’annuler cette mise en relation, et de connecter les personnes dans le besoin avec un autre volontaire ou de se désinscrire ».
Pour les partis politiques, l’appui en partie sur la liste des adhérents permet d’être sûr de tomber sur quelqu’un qui partage le même vote, mais il n’est pas certain de tomber sur un adhérent.
Du côté d’A voté, l’association a expliqué à Numérama être restée « vigilante sur les questions de manipulation de vote. Chaque inscription est acceptée manuellement, afin de voir si beaucoup d’électeurs et électrices d’un même bureau de vote se seraient enregistrés en même temps. Tous les autres comportements sont également passés au peigne fin pour éviter les opérations d’influence ». Actuellement, le site est en pause : « les inscriptions sont temporairement mises en attente pour gérer les mises en relations actuelles ! » indique-t-il.
Si cette solution numérique de mise en relation a eu son succès sur les réseaux sociaux et dans la presse, le site n’enregistre que 4 000 inscrits.
Le plus simple : trouver un proche
Pour donner procuration, la solution la plus sûre reste celle de demander à quelqu’un que l’on connait et qui est disponible les 30 juin et/ou 7 juillet. Une autre solution est de contacter l’antenne locale du parti pour lequel on veut voter, qui devrait pouvoir trouver un adhérent pouvant prendre une procuration.
Lorsqu’on demande à Titouan Galopin « quelle solution il conseille de privilégier entre l’utilisation de son outil pour faire une procuration ou trouver quelqu’un de son entourage pour prendre une procuration », il répond « d’évidence, la deuxième option. Tous les logiciels, quels qu’ils soient, ont pour objectif de lutter contre l’abstention. Les gens qui s’abstiennent sont souvent des gens qui n’ont pas la capacité de donner une procuration à quelqu’un. Nous sommes la solution de dernier recours, mais bien sûr si quelqu’un est capable de porter la procuration, c’est la meilleure solution, car c’est quelqu’un de confiance ».