Super
Après avoir dépassé le nombre de supercalculateurs des États-Unis, en 2017, puis en avoir répertorié jusqu’à 226, en 2020, la Chine n’en dénombre plus que 80 cette année au classement Top500 des supercalculateurs les plus rapides du monde. En réponse aux restrictions dont elle fait l’objet, Pékin chercherait ainsi à empêcher les États-Unis de pouvoir mesurer ses capacités de calcul.
La Chine a cessé de participer au Top500 des supercalculateurs les plus rapides du monde, relève le Wall Street Journal. Le dernier classement, publié mi-juin et qui classe en tête trois ordinateurs états-uniens, ne reflèteraient dès lors plus l’état de l’art en la matière.
« Les Chinois ont des machines plus rapides », explique Jack Dongarra, cofondateur de Top500, « mais ils n’ont pas communiqué leurs résultats ». Plusieurs analystes, interrogés par le WSJ, pensent que la Chine craint que les États-Unis n’en profitent pour durcir leurs restrictions en matière d’importations :
« Selon eux, il serait difficile pour la Chine de maintenir son avance en matière de supercalculateurs sans les puces de pointe, dont beaucoup sont fabriquées par NVIDIA, le leader de la Silicon Valley. Sans ces puces, la Chine devrait recourir à une solution de force brute en assemblant des centaines de milliers de puces d’ancienne génération qui consomment beaucoup d’énergie. »
En 2015, les États-Unis avaient en effet réduit l’accès des développeurs chinois de superordinateurs aux puces Intel et à d’autres matériels. Quatre ans plus tard, l’administration Trump avait placé cinq organisations chinoises de supercalculateurs sur une liste noire, au motif qu’elles utilisaient des supercalculateurs à des fins militaires et nucléaires, rappelle le WSJ. Depuis, l’administration Biden a continué à renforcer ses entraves et restrictions à l’exportation.
- La pression américaine monte encore d’un cran contre le Chinois Huawei
- Guerre froide technologique : la Chine bannit AMD, Intel et Windows de ses administrations
Après avoir battu les États-Unis, la Chine ne veut plus participer
Le Top500 est né en 1993, lorsque professeur à l’université du Tennessee Dongarra et des collègues allemands distribuèrent un problème mathématique à des superordinateurs, avant de classer les machines en fonction du temps qu’elles mettaient à le résoudre.
Pendant plus de deux décennies, les machines américaines dominèrent le classement, publié deux fois par an à partir des données partagées par les équipes en charge des supercalculateurs. Jusqu’à ce que, en novembre 2017, la Chine répertorie 202 machines sur la liste, contre 143 pour les États-Unis.
« Ce fut un tournant majeur », explique M. Dongarra. Après s’en être initialement félicité, la Chine commença à moins participer. Interrogés à ce sujet, des collègues chinois lui ont répondu qu’ils n’étaient plus autorisés à soumettre des informations, se souvient M. Dongarra.
Et ce, d’autant que les derniers modèles chinois utilisent des processeurs produits dans le pays, depuis que ceux d’Intel, NVIDIA et d’autres sociétés américaines sont moins accessibles.
Au Top500, la Chine est passée de 226 supercalculateurs à 80
En mai 2023, Top500 relevait déjà que « les États-Unis ont augmenté leur avance en passant de 126 machines sur la dernière liste à 150 sur celle-ci, tandis que la Chine est passée de 162 systèmes à 134 ».
« Une fois de plus, la Chine et les États-Unis sont les pays qui ont obtenu le plus grand nombre d’entrées sur l’ensemble de la liste Top500 », souligne le communiqué associé au classement de juin 2024. Il note cela dit que le nombre de machines enregistrées par la Chine a depuis été divisé par deux :
« Les États-Unis ont ajouté 7 systèmes par rapport à la liste précédente, ce qui porte leur nombre total de systèmes à 168. La Chine a une fois de plus réduit son nombre de machines représentatives sur la liste, passant de 104 à 80 systèmes. En fait, la Chine n’a pas signalé une seule nouvelle machine pour cette nouvelle liste. »
En juin 2020, les statistiques du Top500 dénombraient 226 supercalculateurs chinois (soit 45,2 % du total), contre 113 états-uniens (22,6 %). En termes de performances, la Chine représentait 25,6 % du total, les États-Unis 28,2.
En juin 2024, les 80 machines chinoises ne représentaient plus que 16 % du total, contre 34 % pour les 171 supercalculateurs états-uniens. Leurs performances sont respectivement passées à 4,3 et 53,7 % du total.
Un supercalculateur avec 42 millions de cœurs
« Officiellement », souligne le WSJ, l’ordinateur le plus rapide du Top500 se trouve au laboratoire national d’Oak Ridge, dans le Tennessee, sous l’égide du ministère de l’Énergie. Frontier, qui figure en tête du classement depuis son lancement en 2021, « a la taille de deux courts de tennis » et sa construction a coûté 600 millions de dollars. Sa facture d’électricité s’élève à « environ 20 millions de dollars par an », précise M. Dongarra, qui travaille également à Oak Ridge.
M. Dongarra estime cela dit que Frontier n’est probablement pas le superordinateur le plus rapide du monde. Il ajoute qu’une cinquantaine de superordinateurs, dont certains appartenant à des services de renseignement, figureraient dans le Top500 si leurs propriétaires étaient autorisés à y participer, et donc à transmettre des données sur leurs capacités, résume le WSJ :
« Des articles scientifiques suggèrent que certaines machines chinoises sont meilleures. L’une d’entre elles a été désignée dans les médias d’État comme le prototype Tianhe-3, d’après un terme chinois désignant la Voie lactée, tandis que l’autre est un modèle de la série de superordinateurs Sunway. »
Dans un article scientifique présenté l’an passé pour le prix Gordon Bell de l’Association for Computing Machinery, les « Oscars des supercalculateurs ». Sunway était présenté comme ayant 42 millions de cœurs, soit quatre fois plus que le nombre de cœurs dont dispose Frontier, laissant supposer qu’il pourrait être plus puissant que celui qui figure pourtant en tête du classement Top500. Ce dernier avait déjà présenté les prototypes des machines Tianhe-3 et Sunway en 2018, affirmant qu’ils étaient « maintenant opérationnels, selon les médias locaux ».
De plus, si la Chine dispose de son propre classement, le HPC Top100, les supercalculateurs les plus puissants n’y sont décrits qu’en termes génériques, sans qu’un nom ou une institution d’exploitation ne soient indiqués. M. Dongarra pense en outre que sa liste ne tenait pas compte des principaux superordinateurs chinois.
Pour mesurer les avancées des scientifiques chinois, il tente alors d’assister à leurs conférences, et de poser des questions, comme il s’en explique au WSJ : « C’est en quelque sorte ma méthode de vérification : lorsque je leur parle, il est clair qu’ils disposent d’une telle machine », en référence aux supercalculateurs qui seraient, selon lui, encore plus puissants que ceux du TOP500.