Avis non tranché
Depuis la victoire de Donald Trump à l’élection présidentielle états-unienne, avec le soutien du propriétaire de X Elon Musk, de nombreux médias, journalistes et observateurs s’interrogent sur le bien-fondé de rester ou de quitter ce réseau social autrefois très couru. Chez Next aussi, on s’interroge.
Faut-il quitter X, feu Twitter ? La question a agité la toile, à la suite de l’élection de Donald Trump, soutenu par le récent propriétaire du réseau, jusque-là bien aimé de quantité de journalistes, activistes, politiques… bref, d’une relative variété d’internautes.
Elle se pose toujours, alors que la campagne Hello Quitte X propose de quitter définitivement la plateforme le 20 janvier 2025, jour de l’investiture du candidat Républicain vainqueur à la présidentielle des États-Unis.
Faut-il quitter X, feu Twitter, en réaction à des élections opérées sur le sol d’un territoire étranger ?
Faut-il quitter X, feu Twitter, en réaction à la mutation politique toujours plus extrême de son propriétaire ?
Faut-il quitter X, feu Twitter, ou y rester, quand on est un média ou membre d’une rédaction, quand on produit au quotidien des contenus écrits, audios ou visuels partageant de l’information vérifiée ?
La question nous oblige, rédaction de média spécialisé dans le numérique que nous sommes. Plusieurs médias français et internationaux ont pris la parole sur le sujet, The Guardian, la Vanguardia, Ouest-France annonçant les uns après les autres qu’ils ne posteraient plus sur X. D’autres, comme Reporterre, ont au contraire pris la plume pour déclarer qu’ils resteraient. L’Express ou TF1 indiquent au Figaro observer la situation avec attention.
Et Next, alors ? Qu’est-ce qu’un média spécialiste de la tech se devait de faire, sur cette plateforme dont le visage a tant évolué au fil des deux dernières années ? Au gré de nos réunions de rédaction, j’ai cru, un temps, que nous serions en profond désaccord.
J’ai cru qu’il y aurait deux fronts : ceux qui pousseraient à abandonner le navire rendu nauséabond par le roi des trolls contre ceux qui le défendraient, vent debout, pour continuer d’apporter de l’information là où les thèses complotistes n’ont que trop de facilité à circuler.
Pour en avoir le cœur net, j’ai discuté avec chacun de mes collègues de leur usage de ce réseau que j’ai, de mon côté, rejoint en mars 2010, deux ans après avoir ouvert mon compte Facebook, et officiellement quitté en novembre 2023 (par « officiellement quitté », j’entends que j’y ai posté un message invitant celles et ceux qui le souhaitaient à me rejoindre dans d’autres espaces numériques).
Désaffection graduelle
Certains s’en servent activement pour publier ou pour réaliser leurs veilles. Que ce soit en publiant moins ou en passant leurs comptes en privé, plusieurs affirment avoir pris une position d’« observateur » : post-élection de Trump, il est clair que le rapport à X évolue. Mais pour plusieurs membres de Next, le désamour date de plus longtemps.
Dessinateur, Flock explique ainsi avoir toujours « très peu traîné » sur la plateforme, et avoir réduit ce rythme déjà faible « à chaque période de crise », comme les attentats ou la pandémie. Dans ces moments-là, il explique avoir « trouvé les comportements binaires des gens alarmants ». Vincent rapporte de son côté avoir été un gros utilisateur jusqu’à la période pré-Covid : au moment de la crise sanitaire, lui aussi s’est retrouvé avec « le sentiment que partout où l’on tendait l’oreille, les gens râlaient et avaient envie de se battre ».
Martin, Sébastien sont les suivants : après le rachat d’Elon Musk, tous deux témoignent avoir peu à peu perdu de vue l’intérêt de se servir de la plateforme. De fait, cette dernière a muté, les dispositifs de modération ont été abîmés, voire enlevés, le fonctionnement même de la plateforme a évolué jusqu’à engloutir certains utilisateurs dans une « déferlante de contenus qui noie les éléments intéressants », pour reprendre les mots de Martin.
Ce que les journalistes perdent en quittant X
Alexandre et Jean-Marc restent les plus engagés de la rédaction sur X, quoique le premier indique y poster moins qu’auparavant.
Avec ses multiples listes de veille, Jean-Marc a probablement l’un des systèmes les plus développés de l’équipe en la matière. Sa position soulève très clairement la question de ce que l’on perd, en tant que journalistes, à renoncer à X.
Pour beaucoup d’entre nous, le réseau a constitué un formidable outil de veille et de suivi des actualités. Y compris au moment même où celles-ci se déroulaient, ou des débats entre experts, au moment-même où ces derniers s’écharpaient discutaient.
Comme l’ont pointé plusieurs observateurs, ceux d’entre nous qui ont les plus grosses communautés craignent aussi, peut-être, de perdre une partie de cette audience en passant sur d’autres plateformes.
D’une manière ou d’une autre, nous avons néanmoins tous adapté nos systèmes de recherche et de suivi des actualités, mêlant ouverture de comptes sur d’autres plateformes, augmentation des abonnements à diverses newsletters et flux RSS et usage plus prononcé de LinkedIn.
Ce dernier souffre néanmoins d’un syndrome « tout le monde est beau, tout le monde est le meilleur », comme le dit Sébastien, derrière lequel j’entends le regret d’un manque d’authenticité dans les interactions.
Ce que j’ai gagné en quittant X
Discuter avec mes collègues m’a forcée à m’interroger sur les raisons de mon propre départ, l’an dernier, et à faire un bilan d’étape. Je ne suis pas bien sûre de ce qui a été l’élément déclencheur. Peut-être était-ce cet article du Nieman Lab, retweeté trois jours plus tôt, dans lequel le journaliste Shayan Sardarizadeh rappelait que des acteurs de la désinformation tiraient d’énormes profits à partager leurs productions sur les plateformes qui, comme X, les rémunèrent pour leur engagement.
Peut-être était-ce aussi une lassitude de consommatrice ou de citoyenne, aussi. Quelques mois plus tard, pour relancer ma newsletter personnelle, j’allais renoncer à utiliser Substack après avoir couvert la manière dont elle gérait les publications d’auteurs ouvertement nazis et observé la réaction de plusieurs autres usagers.
À moins que ce ne soit la lassitude de la violence. Entendre Jean-Marc indiquer « n’avoir jamais été dans la position de subir du harcèlement », quand il m’explique pourquoi il reste, m’oblige à constater que de nombreuses collègues (et oui, je n’ai que des noms féminins en tête) ont quitté X au fil des années, sans que cela n’ait créé les débats actuels. Si je n’ai pas eu à subir de cyberharcèlement, je me souviens en revanche regretter le ton toujours plus virulent de conversations que j’avais jusque-là plaisir à suivre.
Peut-être était-ce donc cette « lassitude du pathos » qu’évoque Vincent, m’expliquant qu’il a quitté X car « on ne peut pas se satisfaire du scandale permanent et de la course à l’engagement ».
Ce qui est certain, c’est qu’il y avait beaucoup de cette fatigue que j’ai retrouvée dans les mots de plusieurs collègues comme de nombreux internautes désormais déplacés sur Mastodon, Bluesky et ailleurs. Et que me focaliser sur mes multiples autres plateformes m’a redonné une relative tranquillité d’esprit… pour le moment.
Cela dit, plus le temps passe, plus j’ai le sentiment que mon compte X va devenir comme mon compte Facebook : la trace fantomatique d’une époque passée. Quelque chose qu’on laisse s’empoussiérer, à défaut d’oser le jeter.
Face à la désinformation, s’accrocher ?
Comment conclure ? Après avoir discuté avec toute l’équipe, l’opposition que je pensais repérer en novembre n’a rien d’aussi évident que ce que je craignais. Les avis sont nuancés, ils évoluent au fil du temps.
Un point de vue est très partagé, en revanche : celui qui concerne le compte officiel de Next, via lequel nous publions automatiquement (sauf quelques bugs) nos articles. De l’avis plus ou moins tranché de toute l’équipe, celui-ci doit rester. « Dans l’absolu, il faut que nous soyons présents partout », indique Martin.
« Quand il y a de la désinformation partout, c’est important que des médias restent, pour assurer une présence a minima » ajoute Alexandre. Et ce, quand bien même X réduit la portée des liens menant vers nos productions.
Et vous, vous en êtes où de vos réflexions ?