La loi, ce nouveau Betamax

Depuis, le 1ᵉʳ janvier, 17 États américains restreignent l’accès aux contenus pornographiques. Ils exigent en effet une preuve d’identité. Plusieurs sites parmi les plus fréquentés ont fermé leurs portes pour protester contre des lois jugées dangereuses. Parallèlement, les recherches de solutions VPN explosent pour contourner les restrictions.
Alabama, Arkansas, Floride, Géorgie, Idaho, Indiana, Kansas, Louisiane, Mississippi, Montana, Nebraska, Caroline du Nord, Caroline du Sud, Oklahoma, Texas, Utah, Virginie : un tiers des États américains dispose désormais d’une législation restreignant l’accès aux contenus pornographiques. Toutes ont la même ambition : interdire ces contenus pour les jeunes de moins de 18 ans. Pour cela, il est exigé de fournir la preuve de son identité.
Au Kansas, par exemple, la loi est entrée en vigueur le 1er juillet dernier. Elle concerne les sites dont au moins 25 % des pages contiennent du contenu pornographique, sous une forme ou une autre, pouvant porter préjudice aux mineurs. Tous ces sites doivent vérifier l’identité et l’âge des internautes pour dévoiler ces contenus. La technologie utilisée pour cette vérification doit avoir été approuvée par le bureau du procureur général de l’État. « Les dommages causés par la pornographie à nos enfants du Kansas nous obligent à créer des obstacles à leur accès », indiquait alors Susan Humphries, représentante républicaine du Kansas.
Au Texas, où une loi équivalente a été votée, le texte a été attaqué devant la Cour suprême par la Free Speech Coalition. La demande a été rejetée.
Le problème des données personnelles
En Floride, dernier État à s’être doté d’une loi interdisant l’accès aux contenus pornographiques par les mineurs, le texte a été promulgué le 25 mars 2024, pour une entrée en vigueur ce 1ᵉʳ janvier. Baptisé House Bill 3, il prévoit notamment une amende de 50 000 dollars par infraction constatée. Une somme que l’on retrouve dans la plupart des législations équivalentes dans les 16 autres États. Autre point commun, il faut pouvoir présenter une pièce d’identité approuvée par l’État, comme un passeport ou un permis de conduire.
Devant la recrudescence de ces lois, le groupe Aylo – propriétaire notamment de Pornhub, RedTube et Youporn – a contre-attaqué. La société ne voulant pas se plier aux nouveaux impératifs, elle bloque géographiquement depuis 2023 toutes les personnes vivant dans les États concernés. Depuis le 1er janvier, les résidents de Floride ont été ajoutés à la liste.
Plus aucun de ces sites n’est donc disponible dans un tiers des États-Unis. La société avait combattu les projets législatifs en insistant sur un point : prouver l’identité nécessite l’envoi de pièces d’identité, dont il faut assurer le stockage sécurisé des informations sensibles, sous peine de violentes fuites de données. En outre, les sites se retrouvent en possibilité de prouver qu’une personne spécifique consulte ses contenus pornographiques.
« Aylo soutient publiquement la vérification de l’âge des utilisateurs depuis des années, mais nous pensons que toute loi à cet effet doit préserver la sécurité et la vie privée des utilisateurs, et doit protéger efficacement les enfants contre l’accès à des contenus destinés aux adultes », a ainsi déclaré Aylo à The Independant.
« Malheureusement, la façon dont de nombreuses juridictions dans le monde, y compris la Floride, ont choisi de mettre en œuvre la vérification de l’âge est inefficace, aléatoire et dangereuse. Toute réglementation qui oblige des centaines de milliers de sites pour adultes à collecter des quantités importantes d’informations personnelles très sensibles met en péril la sécurité des utilisateurs », a-t-elle ajouté.
Ruée sur les VPN
Sans surprise, les résidents et résidentes des 17 États se sont dirigés vers les solutions VPN, pour apparaître connectés depuis un autre endroit. En dépit d’affirmations du contraire par les entreprises concernées, c’est la principale utilisation de ces outils. En France, nombre de vidéos sur YouTube sont sponsorisées par des acteurs comme NordVPN, CyberGhost VPN et autres. Beaucoup de ces messages commerciaux mentionnent directement la possibilité d’accéder aux catalogues streaming des autres pays. Dans le cas présent, les VPN sont utilisés pour contourner la loi.
Et c’est une véritable explosion. En Floride, comme relevé par Business Insider, un rapport de vpnMentor évoque une augmentation de 1 150 % des recherches sur les VPN, à peine quatre heures après l’entrée en application de la loi. Le 19 décembre déjà, lendemain de l’annonce d’Aylo sur le blocage prochain de la Floride, les demandes étaient en augmentation de 51 %. Des chiffres cohérents avec ce que vpnMentor avait observé en mai 2023, quand l’Utah avait promulgué sa propre loi, avec à la clé un pic de 967 % dans les demandes.
Cette explosion dans les demandes a été constatée également par Proton. Dans un tweet du 3 janvier, la société suisse relevait ainsi « une augmentation massive des inscriptions à @ProtonVPN en provenance des États-Unis ». Elle ajoutait ne constater habituellement « de telles augmentations [que] dans les pays avec des gouvernements instables qui font face à des fermetures d’Internet, ce qui signifie qu’il s’agit d’une anomalie ».
Trois heures plus tard, dans un autre tweet, Proton comprend et tweete : « Fausse alarme. C’est du porno », citant l’article de The Independant.
Et en France ?
Dans l’Hexagone, la situation est complexe actuellement. L’Arcom propose un cadre dans lequel les sites pornographiques doivent opérer. Il est demandé aux acteurs impliqués d’être « particulièrement attentifs à la protection de la vie privée de leurs utilisateurs et à la sécurité des systèmes d’information concernés, principes au respect desquels la CNIL est chargée de veiller en application notamment du règlement général sur la protection des données (RGPD) ».
En octobre, une période transitoire de six mois a été ouverte, permettant aux sites d’utiliser la carte bancaire comme preuve de majorité. Qu’il s’agisse de ce moyen simple ou d’un contrôle plus complet de l’identité, la loi française prévoit un passage par des prestataires de confiance qui devront opérer en double anonymat. En clair, le prestataire ne doit pas savoir que le client consulte un site porno, et ce dernier ne doit pas connaitre l’identité du visiteur. Le référentiel avait été accueilli favorablement par la CNIL.
Mi-novembre, les sites Xhamster, Tukif, Mrsexe et Iciporno ont été bloqués suite à une décision de la cour d’appel de Paris le 17 octobre, pour n’avoir intégré aucun mécanisme de vérification. Le blocage n’aura pas duré longtemps, tous ces sites étant aujourd’hui disponibles.