Corde raide
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Dans l’affrontement entre le ministère américain de la Justice et Google, la revente de Chrome occupe une position centrale. Une autre mesure envisagée est l’interdiction pour Google de nouer des accords de recherche avec d’autres sociétés. Mozilla s’insurge contre cette idée.
Le ministère américain de la Justice (DoJ) se penche depuis plusieurs mois sur le cas de Google, qui aurait abusé de sa position dominante dans le domaine de la recherche. Parmi les solutions proposées, la revente du navigateur Chrome et l’interdiction pour Google de nouer des partenariats pour promouvoir son moteur dans des produits tiers.
On aurait pu s’attendre à ce que le Department of Justice change d’orientation avec les élections américaines et le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche, mais il n’en est rien. Il y a quelques jours, on apprenait ainsi que le ministère gardait son cap, persistait et signait : le navigateur doit être vendu.
Apple est partie prenante dans le procès. La société n’a pas directement témoigné, mais a été autorisée à fournir un avis dans un document remis à la cour. La firme y aborde l’accord qui la lie actuellement à Google : 20 milliards de dollars par an pour configurer par défaut le moteur de recherche sur l’ensemble des appareils ayant Safari. L’argument est on ne peut plus simple : l’interdiction de promouvoir Google dans des produits tiers (donc les siens) porterait un coup dur à ses résultats financiers. Apple avait en conséquence demandé l’arrêt de la procédure.
Mozilla s’insurge
Il y a quelques jours, Mozilla a également communiqué sur le sujet. La position de la fondation est particulièrement ambivalente : « Cette affaire était censée promouvoir la concurrence dans le domaine de la recherche, mais le résultat menace d’écraser la concurrence entre les navigateurs, ce qui rendra encore plus difficile pour les concurrents de s’opposer aux acteurs dominants tels que Google, Apple et Microsoft ».
Les mesures proposées par le DoJ ne tiendraient ainsi pas compte « de la situation dans son ensemble ». Mark Surman, président de Mozilla, indique que les « petits navigateurs indépendants », dont fait partie Firefox, sont en « première ligne » pour stimuler l’innovation et offrir un « véritable choix ». Pourtant, les solutions du DoJ « feraient pencher le terrain de jeu encore plus vers les mains de quelques acteurs dominants ».
Moins d’argent, donc moins d’alternatives
Comment expliquer une telle dichotomie ? Mozilla donne plusieurs arguments. Le principal est que la coupure des accords n’aurait que peu d’influence sur les grandes entreprises comme Apple, alors qu’elle pourrait condamner les petits navigateurs, qui en « ont besoin pour survivre ». Le terme n’est pas anodin et renvoie à l’accord liant Google et Mozilla : l’utilisation du moteur de recherche par défaut dans Firefox représente l’écrasante majorité du chiffre d’affaires de Mozilla Corp.
« Punir les navigateurs indépendants ne résoudra pas le problème. Le juge Mehta a constaté que les navigateurs indépendants ne représentent que 1,15 % des requêtes de recherche aux États-Unis. Cela signifie que le fait de nous couper l’accès aux offres de recherche ne résoudra pas le problème de la domination des moteurs de recherche, loin s’en faut. Au contraire, cela nuit à la concurrence des navigateurs », affirme Mark Surman.
Le problème des moteurs de rendu
Pour Mozilla, le DoJ va donc trop loin sur les accords de recherche, mais pas assez sur d’autres sujets, notamment les moteurs de rendu. Mozilla relève ainsi dans son billet qu’il n’existe globalement que trois moteurs aujourd’hui : Blink pour Chromium, WebKit pour Safari et Gecko pour Firefox. Ce dernier est présenté comme la seule alternative multiplateforme à Chromium, puisque WebKit n’est essentiellement utilisé que par Apple pour ses propres produits.
« Si nous perdons notre capacité à maintenir Gecko, c’en est fini du web ouvert et indépendant. Microsoft – une entreprise de 3 000 milliards de dollars – a déjà abandonné son moteur de navigateur en 2019 et Opera a abandonné le sien en 2013. Si Mozilla est évincé, Chromium de Google deviendra le seul moteur de navigateur multiplateforme restant », résume Mark Surman.
Il faut pourtant rappeler que la gouvernance du projet Chromium est en train de changer. En janvier, la fondation Linux a annoncé qu’elle hébergeait désormais un grand groupe de soutien à Chromium pour mieux coordonner les efforts autour de la base open source et fluidifier les échanges. Mozilla n’aborde pas ce point dans sa communication.
Un rôle plus grand qu’une part de marché
L’éditeur résume la situation en expliquant que son « rôle dans un web ouvert est PLUS GRAND que [sa] part de marché ». Surman donne d’ailleurs des chiffres précis : 27 millions d’utilisateurs actifs mensuels aux États-Unis, 205 millions dans le monde. Malgré ces « petits » chiffres, Mozilla rappelle son rôle sur les normes du web, l’interopérabilité et la vie privée. « Ce n’est pas quelque chose que nous faisons parce que c’est rentable ou facile. Nous le faisons parce que c’est important », assène Mark Surman.
L’exercice de communication est délicat pour Mozilla, sous perfusion de l’argent de Google depuis de nombreuses années. Sa position consiste à promouvoir une plus grande concurrence sans toucher à cet approvisionnement. Pourtant, si Mozilla met en garde contre les dangers d’une décision trop radicale, l’entreprise ne propose pas vraiment d’alternatives. Elle n’est – bien sûr ! – pas contre la revente de Chrome, mais ne souhaite pas que l’on touche aux accords de recherche.