« Paperasserie »

Dans un communiqué de presse, la Commission européenne a annoncé une nouvelle salve de demandes faites à Apple, dans le cadre du DMA. L’entreprise américaine tire à boulets rouges contre la Commission, l’accuse de freiner son innovation et de mettre en danger les consommateurs européens.
Depuis l’arrivée du DMA (Digital Markets Act), les relations entre Apple et la Commission européenne sont tendues. Le règlement impose aux très grandes entreprises une liste de responsabilités qu’Apple a largement critiquées. Le DMA est déjà à l’origine de nombreux changements dans certains produits de l’entreprise, iOS au premier plan. La possibilité d’ouvrir des boutiques tierces figure en bonne place.
À chaque fois, Apple dit tout le mal qu’elle pense de ces mesures. Dans un document dédié, la firme basculait presque dans le sentiment, tâchant de passer pour une innovatrice bienveillante. Elle avertissait notamment que l’ouverture d’autres boutiques finirait immanquablement par affaiblir la sécurité des utilisateurs européens et que les iPhone vendus au sein de l’Union n’en seraient que moins efficaces. Tout en précisant qu’ils resteraient quand même les smartphones les plus sécurisés du marché.
Un « travail éducatif » auprès de la Commission qui ne semble pas avoir porté ses fruits. L’instance vient d’annoncer en effet de nouvelles mesures, toujours dans le cadre des obligations d’interopérabilité imposées par le DMA.
Une question d’interopérabilité
Dans son communiqué, la Commission européenne se concentre sur la question de l’interopérabilité pour les objets connectés. C’est la conséquence directe d’une annonce faite en septembre dernier, suivie d’une consultation publique en décembre. La Commission citait alors l’article 8, paragraphe 2 du DMA, qui lui permet de préciser à un contrôleur d’accès les mesures qu’il doit appliquer pour « assurer le respect effectif des obligations substantielles du DMA ».
Il y a deux séries de mesures. Dans la première, la Commission demande à Apple d’ouvrir les neuf fonctions de connectivité d’iOS les plus utilisées « pour les appareils connectés tels que les smartwatches, les écouteurs ou les téléviseurs ». Selon la Commission, les fabricants pourront ainsi accéder « plus facilement aux fonctions de l’iPhone qui interagissent avec ces appareils ».
Elle cite plusieurs exemples : l’affichage des notifications sur les montres connectées, l’accélération des transferts de données (connexions Wi-Fi pair à pair, NFC…) et la facilitation de la configuration des appareils, dont l’appairage.
La Commission affirme que les produits concernés fonctionneront mieux sur les iPhone, que de nouvelles possibilités seront débloquées, que les constructeurs pourront « mettre sur le marché des produits plus innovants », le tout conduisant à une amélioration générale de « l’expérience des consommateurs européens ». La vie privée et la sécurité de ces derniers doit être garantie, tout comme l’intégrité des systèmes d’exploitation d’Apple, précise la Commission.
De la documentation et des informations claires
La seconde série de mesures veut améliorer « la transparence et l’efficacité de la procédure qu’Apple a conçue pour les développeurs souhaitant obtenir l’interopérabilité avec les fonctionnalités de l’iPhone et de l’iPad ». En clair, il est demandé à Apple d’améliorer l’accès à la documentation technique sur des fonctions qui ne sont pas encore disponibles à des tiers, une meilleure communication, des mises à jour et un calendrier prévisible « pour l’examen des demandes d’interopérabilité ».
La Commission européenne veut croire que les développeurs bénéficieront ainsi « d’un traitement rapide et équitable de leurs demandes ». Là encore, il est question de permettre aux fabricants de proposer plus vite et plus facilement des produits innovants sur le marché européen.
Apple ne cache pas sa colère
Contrairement aux annonces de septembre et décembre, ces décisions de spécifications « sont juridiquement contraignantes ». Apple doit donc les appliquer, sous peine de subir une procédure pour infraction au DMA.
Sans surprise, Apple est en colère. L’entreprise a déclaré à plusieurs médias, dont 9to5Mac : « Les décisions d’aujourd’hui nous enveloppent de paperasserie, ralentissant la capacité d’Apple à innover pour les utilisateurs en Europe et nous forçant à donner gratuitement nos nouvelles fonctionnalités à des entreprises qui n’ont pas à respecter les mêmes règles. C’est mauvais pour nos produits et pour nos utilisateurs européens. Nous continuerons à travailler avec la Commission européenne pour l’aider à comprendre nos préoccupations au nom de nos utilisateurs ».
Pour Apple, la seule entreprise à faire actuellement l’objet de ces décisions de spécifications, le problème serait donc centré sur une Commission européenne mal éduquée, bureaucratique et injuste. La firme se positionne d’emblée comme porte-parole de ses clients.
L’ombre de la Maison-Blanche
La Commission européenne a choisi d’aller au bout de sa procédure, alors que le contexte géopolitique s’est radicalement tendu depuis le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche.
Le président américain s’est montré clair récemment : la situation des réglementations européennes sera examinée de près, tout particulièrement le DMA et le DSA. L’Europe est, dans les grandes lignes, accusées de « faire son beurre » sur le dos des sociétés américaines, car ne possédant pas elle-même d’entreprises aussi importantes.
La vision de la Maison-Blanche à ce sujet est limpide. Elle refuse de permettre « aux gouvernements étrangers de s’approprier l’assiette fiscale américaine à leur profit ». Dans le cas contraire, qu’ils soient prévenus : ils « s’attireront les foudres de l’administration s’ils prennent des mesures pour contraindre les entreprises américaines à céder leur propriété intellectuelle ». Pour le gouvernement Trump, les sociétés américaines doivent être régies par des lois américaines.