Les jeux sont (bientôt) faits, rien ne va plus
Un amendement au projet de loi de finances propose d’autoriser et d’ouvrir à la concurrence les jeux de casino en ligne, aujourd’hui interdits en France, pour supplanter l’offre illégale et dégager de nouvelles recettes fiscales.
Quinze ans après l’ouverture à la concurrence des jeux d’argent en ligne, l’épineux dossier des casinos s’apprête à revenir sur le devant de la scène. Dans le cadre des discussions liées au projet de loi de finances pour 2025, l’Assemblée nationale aura en effet bientôt l’occasion d’examiner un amendement, déposé par le gouvernement, qui propose d’autoriser l’exploitation des casinos en ligne en France.
« Le présent amendement a pour objet d’autoriser et d’ouvrir à la concurrence le marché des jeux de casino pratiqués en ligne, en définissant à cet effet le cadre fiscal applicable à ce type de jeux », explique le texte, détecté lundi par Les Echos. Sur ce volet fiscal, le texte prévoit la mise en place d’un prélèvement de 55,6% sur le produit brut des jeux des futurs casinos agréés, un taux identique à celui appliqué à la FDJ pour la loterie en ligne.
L’amendement dispose par ailleurs que les pouvoirs publics seraient autorisés à prendre, « par voie d’ordonnance », les mesures nécessaires à la création du cadre réglementaire dédié à ce nouveau pan des jeux d’argent en ligne, ainsi qu’à l’adaptation du périmètre couvert par l’Autorité nationale des Jeux (ANJ, ex-ARJEL).
La fin d’une exception française
« Cette ouverture procède d’une mise en cohérence du cadre des jeux avec nos principaux voisins européens, la France étant, avec Chypre, le seul pays de l’Union européenne à interdire les jeux de casino en ligne », remarquent les auteurs de l’amendement dans leur exposé sommaire.
Outre la FDJ et le PMU, titulaires de droits exclusifs, 17 opérateurs se partagent le marché des jeux d’argent en ligne, en vertu de 30 agréments accordés par l’ANJ, avec des activités qui ne peuvent relever que de trois catégories d’activité : les paris sportifs, les paris hippiques ou le poker.
Ecarté du cadre légal, le casino en ligne a pourtant prospéré en France. Une étude PwC réalisée fin 2023 pour l’ANJ estime ainsi que le produit brut des jeux généré par l’offre illégale des jeux d’argent en ligne en France « se situerait entre 748 millions et 1,5 milliard d’euros, soit entre 5 % et 11 % du marché global des jeux d’argent », avec 50 % de cette offre illégale générée par des jeux de casino en ligne.
Sur cette base, le prélèvement envisagé génèrerait donc des recettes de l’ordre de 420 millions d’euros par an pour les caisses de l’État et la Sécurité sociale, là où l’ANJ peine aujourd’hui à enrayer l’accès des internautes français aux casinos en ligne, même si l’Autorité dispose depuis 2022 d’un pouvoir de blocage administratif.
« En vue de limiter l’impact sur la santé publique des consommateurs de jeux en ligne, de contrôler cette offre de jeux qui ne cesse de croître et de tenter d’assécher l’offre illégale, il convient d’assurer une réelle régulation des jeux de casino en ligne », estiment donc les auteurs de l’amendement.
L’idée a également motivé le dépôt d’un amendement d’appel, déposé par plusieurs députés du groupe Droite républicaine. Dans le contexte particulièrement tendu de la préparation du budget 2025 de l’État, elle pourrait donc faire son chemin jusqu’à l’hémicycle.
Débats houleux en perspective
Sur un marché des jeux d’argent qui représente 13,4 milliards d’euros en 2023 à l’échelle française, l’ouverture des casinos en ligne aiguiserait logiquement l’appétit de tous les grands noms du secteur. Ils la réclament depuis des années et n’attendent donc qu’une autorisation pour se lancer.
Mais la mesure soulève déjà de vives critiques. « Autoriser les casinos en ligne = Autoriser un marketing ciblé sur les jeunes et des pertes d’argent incontrôlables », résume notamment l’association Addictions France, qui appelle à la « plus grande vigilance » face au risque d’addiction que soulève le casino en ligne. Un risque qu’elle estime « deux fois plus élevé » que celui associé au casino physique.
Les tenants de l’ouverture se retranchent quant à eux derrière l’argument selon lequel un marché régulé offre un meilleur niveau de protection aux joueurs, et c’est aussi la logique défendue par l’amendement du gouvernement.
La légalisation a-t-elle vraiment fait ses preuves ? Concernée au premier chef, l’ANJ ne s’est jamais exprimée en faveur de l’ouverture des casinos en ligne, renvoyant systématiquement aux trois types de jeux d’argent prévus par la loi de 2010.
Et l’Autorité semble avoir des réserves quant au tarissement supposé de l’offre illégale, au sujet de laquelle elle vient d’ailleurs de lancer une campagne de communication. « La Belgique est un marché particulièrement ouvert, mais parmi les 10 opérateurs les plus populaires, quatre sont illégaux et représentent près de 60% du trafic, donc [la légalisation] n’a pas fait ses preuves », illustre Gaëlle Palermo-Chevillard, du département de lutte contre l’offre illégale au sein de l’ANJ, interrogée début octobre par France Info.
Les casinos traditionnels sont quant à eux vent debout contre l’ouverture d’un marché en ligne, une posture constante depuis 2010. Cette fois, c’est bien sûr l’argument économique qui est avancé, avec la crainte de voir des opérateurs en ligne phagocyter une partie de leur activité. « Selon nos calculs, l’ouverture à la concurrence du casino en ligne entraînera une baisse du produit brut des jeux des casinos terrestres de 20 à 30 %, et la fermeture de 30 % des établissements. Il y aura des conséquences catastrophiques, notamment sociales : on estime que 15.000 emplois seront supprimés. Plus globalement, cela revient à signer l’arrêt de mort des casinos terrestres », déclare ainsi Grégory Rabuel, directeur général du groupe Barrière et président du syndicat Casinos de France aux Échos.
Les députés ont débuté lundi l’examen du PLF 2025, via lequel le gouvernement affirme vouloir mettre en place un effort budgétaire de 60 milliards d’euros.