Authentiquement cher
L’Autorité de la concurrence a tranché : Sony a bien œuvré illégalement contre les joueurs en les empêchant d’obtenir des manettes plus abordables. La société et trois de ses filiales sont sanctionnées pour abus de position dominante, à hauteur de 13,527 millions d’euros.
« À la suite d’une saisine de Subsonic, fabricant français de manettes de jeux vidéo, l’Autorité sanctionne Sony (quatre sociétés du groupe, dont la société mère japonaise) pour avoir abusé, pendant plus de 4 ans, de sa position dominante sur le marché de la fourniture de manettes de jeux vidéo pour consoles PlayStation 4 », a annoncé il y a quelques heures l’Autorité de la concurrence dans un communiqué.
Au cœur des reproches faits à l’entreprise japonaise, le déploiement de contre-mesures techniques visant à empêcher toute manette n’étant pas dument certifiée de fonctionner sur la PlayStation 4. Subsonic, Suza et Proxima Plus sont des marques citées en exemple ayant fait les frais des agissements de Sony.
Des manettes tierces régulièrement déconnectées
Deux pratiques sont spécifiquement sanctionnées. D’une part, les contre-mesures elles-mêmes, alimentées par les mises à jour de la console et déconnectant régulièrement les manettes tierces. De quoi décourager les joueurs et les pousser vers les manettes de Sony, plus chères.
Si l’Autorité reconnait que l’intention de lutter contre la contrefaçon était « légitime », elle estime que Sony est allé beaucoup trop loin et juge les mesures déployées largement « disproportionnées ». Elles affectent en effet la totalité des manettes vendues « hors licence ».
De plus, « si Sony prétend détenir un grand nombre de brevets sur ses manettes, elle n’a pu produire aucun jugement qualifiant en France les manettes litigieuses de contrefaçons de brevets ». L’argumentaire de Sony prend du plomb dans l’aile.
Prenant les devants, l’Autorité rappelle que deux jugements allemands ont bien estimé qu’un modèle de manette Subsonic contrefaisait les brevets de Sony. Mais cela ne changerait rien sur le fond, affirme-t-elle : « la pratique mise en œuvre s’avère en tout état de cause largement disproportionnée, tant dans son champ que dans sa durée ». De plus, « elle affecte en effet indistinctement les autres modèles de manettes de Subsonic et ceux d’autres fabricants ». Les arguments de Sony sont tués ainsi dans l’œuf.
Un programme de licence « opaque »
D’autre part, le programme de licence lui-même, permettant d’utiliser le logo et la marque Sony, mais aussi d’éviter les déconnexions sauvages – Official Licensed Product (OLP) – est décrit comme « opaque » par l’Autorité.
Pour l’Autorité de la concurrence, « les éléments du dossier montrent que les critères d’accès au programme OLP n’étaient pas communiqués à tous les fabricants qui en faisaient la demande et pouvaient se prêter, par leur imprécision, à une application discrétionnaire ».
Un exemple : « Sony a ainsi systématiquement refusé d’indiquer ses critères d’adhésion à Subsonic, ainsi qu’à d’autres fabricants ».
5 ans d’abus, sans circonstances atténuantes
Des pratiques que Sony aurait mises en place pour préserver les ventes de sa DualShock 4, manette officielle de la PlayStation 4 vendue entre 60 et 75 euros, et dont un exemplaire est fourni avec la console. Pendant ce temps, des dysfonctionnements sont intervenus sur les modèles tiers, dès 2015.
Résultat, « la combinaison de ces deux pratiques a significativement nui à l’image de marque des fabricants tiers affectés, tant vis-à-vis des joueurs que vis-à-vis des distributeurs, freinant leur expansion sur le marché et conduisant à leur possible éviction ».
Résultat des courses, Sony a « abusé de sa position dominante entre novembre 2015 et avril 2020, soit pendant la majeure partie de la vie de la console PS4 ». L’amende de 13,527 millions d’euros concerne conjointement et solidairement la maison mère de Sony ainsi que trois de ses filiales :
- Sony Interactive Entertainment Europe Limited (chargée du programme de licence en Europe)
- Sony Interactive Entertainment Inc. K.K (chargée du déploiement des mises à jour du système d’exploitation de la console PS4)
- Sony Interactive Entertainment France (chargée de la commercialisation des manettes en France
Le détail du calcul de l’amende
L’Autorité rappelle que le montant théorique maximum de la sanction qu’elle peut prononcer est « de 10 % du montant du chiffre d’affaires mondial hors taxes […] ». Avec un CA de 67,921 milliards d’euros, l’amende pouvait grimper jusqu’à 6,792 milliards d’euros.
Bien évidemment, c’est à adapter en fonction des circonstances. Dans le cas présent, et compte tenu des éléments du dossier, « le montant de base de la sanction pécuniaire s’élève à [9-10 millions d’] euros », avant ajustements.
Sony a tenté de négocier son amende, sans succès
Dans la décision détaillée, on apprend que Sony a tenté de jouer les bons samaritains pour éviter une sanction, sans succès. L’entreprise a en effet proposé des mesures correctives « afin d’être dispensée de sanction pécuniaire », un peu tard a priori. Mais Sony « n’a pas pour autant corrigé son comportement après le refus pour l’Autorité d’accepter ses engagements », explique l’AdlC.
Un comportement qui a poussé l’Autorité à ne pas retenir la moindre circonstance atténuante. Dans le même temps, elle ne fait pas non plus état de circonstances aggravantes. Comment arrive-t-on alors aux 13.5 millions d’euros ? « Le montant de la sanction pécuniaire sera augmenté de 50 % afin de tenir compte de l’envergure, de la puissance économique et des ressources du groupe », peut-on lire dans le détail de la décision.