Arrivée sous haute tension

Après une longue pause et avoir pesté à plusieurs reprises contre le cadre réglementaire européen, Meta a finalement décidé de déployer son assistant d’IA générative dans 41 pays supplémentaires, dont l’Union européenne. L’entreprise en profite pour donner quelques coups de canif au passage.
L’assistant Meta AI a été lancé initialement aux États-Unis en septembre 2023. Il a ensuite été étendu à l’Inde en juin 2024, puis au Royaume-Uni en octobre. Le mois dernier, il débarquait dans plusieurs pays d’Afrique et du Moyen-Orient. L’Europe avait été sciemment écartée. Dans un communiqué paru hier soir, Meta a soigneusement choisi ses mots :
Un « système réglementaire complexe »
« Il nous a fallu plus de temps que nous ne l’aurions souhaité pour mettre notre technologie d’IA entre les mains des Européens, car nous continuons à naviguer dans son système réglementaire complexe – mais nous sommes heureux d’y être enfin. Au cours des prochaines semaines, nous ferons le premier pas pour rendre la fonction de chat de Meta AI disponible dans six langues européennes, dans le but de trouver la parité avec les États-Unis et d’étendre notre offre au fil du temps »
L’assistant va donc être déployé sous peu pour l’ensemble des comptes sur Facebook, Instagram, WhatsApp et Messenger. L’anglais, le français, l’italien, l’espagnol, le portugais et l’allemand sont pris en charge. La première fonction proposée sera, sans surprise, un chat « intelligent ».
Interrogée par TechCrunch sur la manière dont les modèles avaient été entrainés à l’occasion de cette prochaine disponibilité, la société a affirmé que les données européennes n’avaient pas été utilisées.
Une complexité européenne ?
Alors qu’Apple et Google ont été toutes deux épinglées par la Commission européenne pour manquements à leurs obligations face au DMA, Meta a en effet été largement critiquée pour l’entrainement de ses modèles. En mai 2024, Meta annonçait ainsi que les données européennes de l’ensemble des comptes seraient utilisées pour entrainer ses modèles d’IA générative.
Début juin, l’association noyb (None of your business), fondée par Max Schrems, déposait 11 plaintes en Europe (en Autriche, Belgique, France, Allemagne, Grèce, Italie, Irlande, Pays-Bas, Norvège, Pologne et Espagne). L’association dénonçait les pratiques de Meta, le langage de ses nouvelles conditions d’utilisation et l’utilisation d’expressions comme « intérêt légitime ».
Selon noyb, tout était fait pour décourager les internautes. Le message avertissant du changement contenait un lien vers un formulaire trop complexe et réclamant de justifier l’opposition au traitement des données personnelles. On était loin de l’opt-in obligatoire et du consentement explicite du RGPD.
Une semaine plus tard, la Data Protection Commission (CNIL irlandaise) annonçait finalement que Meta suspendait son projet d’entrainement sur les données européennes. En juillet, Meta annonçait le lancement du modèle Llama 3.1. Cependant, l’Europe n’était pas concernée et ne le serait pas aucun des futurs modèles, tant que le terrain juridique ne serait pas dégagé.
Pas de baskets
Dans la foulée, Yann LeCun, chercheur en chef en IA chez Meta, déclarait sur X : « Meta ne commercialisera pas les versions multimodales de ses produits et modèles d’IA dans l’UE en raison d’un environnement réglementaire imprévisible ».
Quel environnement ? Un peu de tout, car Meta s’est confronté à un certain nombre de règlements sur les dernières années. La Commission européenne était déjà échaudée par la question du consentement sur les publicités comportementales, autrement dit personnalisées par les données des internautes. Ce mécanisme étant basé sur un traitement des données personnelles, il était soumis – comme bien d’autres – au RGPD.
Pendant des années, Meta n’a rien voulu savoir. Puis, en aout 2023, l’entreprise se résigne finalement à accepter de demander l’autorisation. La société n’a cependant pas fait les choses de la façon attendue : plutôt que demander aux internautes un consentement sur l’utilisation de leurs données, elle a lancé des abonnements visant à se débarrasser de la publicité. Le contrat proposé était simple : si l’on ne souhaitait pas avoir de publicités, il fallait payer.
La Commission européenne s’est crispée : les abonnements de Meta ne répondaient pas à la demande. Ils ne faisaient en effet que masquer les publicités, ils ne coupaient pas les traitements sur les données personnelles.
Durant l’été 2024, la Commission déclarait donc que le « modèle publicitaire « payer ou accepter » n’est pas conforme à la loi sur les marchés numériques (DMA) ». « Ce choix binaire oblige les utilisateurs à consentir à la combinaison de leurs données personnelles et ne leur fournit pas une version moins personnalisée, mais équivalente des réseaux sociaux de Meta », ajoutait la Commission dans son avis préliminaire. Quelques semaines plus tard, elle qualifiait même les pratiques de l’entreprise de « sournoises ».
Retour dans un climat tendu
Le marché européen représente des centaines de millions d’utilisateurs. Difficile pour Meta de s’en passer plus longtemps, surtout dans un contexte de concurrence exacerbée dans le domaine de l’IA. D’autant que l’entreprise joue la carte d’une certaine ouverture avec la publication de ses modèles Llama. Elle rappelle elle-même, dans son communiqué, que son assistant Meta AI est utilisé actuellement par 700 millions de personnes mensuellement.
L’entreprise est cependant très critique de l’Europe et – une fois de plus – de son cadre réglementaire. Si l’entreprise a fustigé le RGPD et le DMA, elle n’est pas une grande fan non plus de l’AI Act. En septembre dernier, elle avait ainsi critiqué, de concert avec Spotify, la « structure réglementaire fragmentée » de l’Union européenne.
Dans une lettre ouverte, les deux entreprises, à la tête d’un groupe, regrettaient une Europe « devenue moins compétitive et moins innovante par rapport à d’autres régions ». Selon les signataires, elle risquait de « prendre encore plus de retard dans l’ère de l’IA en raison de décisions réglementaires incohérentes ».
Plus récemment, en janvier, c’est Joel Kaplan en personne, responsable de la politique mondiale chez Meta, qui tirait à boulets rouges sur l’Europe, comme le rapportait Euronews. Invité à se prononcer sur le futur code de conduite pour l’IA en Europe, Kaplan a répondu qu’en l’état, une signature était impossible. « L’adoption d’une approche ouverte de l’IA aidera l’Europe à être compétitive au niveau mondial, à stimuler l’innovation et la croissance économique. Si l’Europe et les États-Unis ne travaillent pas ensemble, le seul gagnant sera la Chine », déclarait-il alors.
Signalons que le déploiement de Meta AI n’avait rien de sûr. Les confrontations entre l’entreprise et l’Europe sont régulières depuis longtemps. En 2012 par exemple, l’entité qui s’appelait alors Facebook souhaitait lancer une fonction de reconnaissance faciale en Europe. Le projet avait finalement été abandonné et n’est jamais revenu sur la table, à la suite de 22 plaintes, dont celle de l’association Europe versus Facebook, menée par un jeune étudiant autrichien du nom de… Max Schrems.