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Trois juges ont invalidé hier le principe de neutralité du net aux États-Unis. Le dossier n’en finit plus de trainer, au gré des gouvernements. Mais avec la décision rendue, une Cour suprême conservatrice et le retour de Donald Trump au pouvoir, la neutralité du net ne devrait pas revenir de sitôt sur le tapis.
C’est un véritable serpent de mer. La neutralité du net est débattue aux États-Unis depuis une quinzaine d’années. Activement souhaitée par la FCC (Federal Communications Commission), elle est constamment attaquée par une industrie qui n’en veut pas.
De quoi parle-t-on ? Du principe selon lequel les fournisseurs d’accès n’offrent qu’une simple tuyauterie pour internet. Tous les flux sont considérés comme d’égale importance et ils ne peuvent pas en privilégier certains, ni demander à être davantage payés pour un type de flux spécifique.
La FCC a outrepassé ses fonctions
Le cœur du litige résidait dans la façon de considérer les FAI américains : s’agissait-il de services de télécommunication ou d’informations ? Pour le juge Richard Allen Griffin, du sixième circuit d’appel, la décision est claire : les fournisseurs constituent un service d’information. En conséquence, le « haut débit mobile est un service mobile privé » et les lois en cours sur la neutralité du net ne s’appliquent pas.
Pour le juge, « la FCC a outrepassé son autorité statutaire » et aurait eu une « interprétation trop large de la loi ». La cour ordonne ainsi la suspension de l’ordonnance de la FCC imposant la neutralité du réseau, un décret baptisé « Safeguarding and Securing the Open Internet Order ».
Ce décret avait été pris sous Barack Obama, en 2015, après des années de vives discussions. L’industrie des télécommunications était vent debout contre le principe, tandis que celle de la tech l’appelait de ses vœux. Et pour cause : elles vivent des services en ligne. L’essor de Netflix et d’autres plateformes de streaming n’a fait que raviver les tensions. Donald Trump l’avait aboli en 2018, mais la FCC l’avait rétabli en avril 2024.
Quel avenir pour la neutralité aux États-Unis ?
L’avenir du principe de neutralité est actuellement obscurci chez l’Oncle Sam. En Europe, il est sanctuarisé depuis 2015. Outre-Atlantique, il fait l’objet d’âpres discussions entre républicains et démocrates.
Jessica Rosenworcel, actuelle présidente de la FCC, regrette la décision de la cour d’appel. Elle estime désormais que seule la voie législative peut sauver la neutralité. « Les consommateurs de tout le pays nous ont dit encore et encore qu’ils voulaient un internet rapide, ouvert et équitable. Avec cette décision, il est clair que le Congrès doit maintenant tenir compte de leur appel, prendre en charge la neutralité du réseau et inscrire les principes de l’internet ouvert dans la loi fédérale », a-t-elle déclaré dans un communiqué, cité par Reuters.
La FCC pourrait porter le dossier devant la Cour suprême, mais le pari est risqué. Depuis la nomination de Brett Kavanaugh comme juge à la plus haute juridiction du pays, celle-ci est à majorité conservatrice.
En outre, l’arrivée de Donald Trump au pouvoir pour son deuxième mandat le 20 janvier marquera la fin de la présidence de Jessica Rosenworcel. Elle sera remplacée par Brendan Carr, opposant notoire à la neutralité du net. Il estime en effet que ce principe revient à considérer les fournisseurs d’accès comme un service public, réduisant alors les investissements dans l’infrastructure.
À noter que si la neutralité n’est désormais plus un principe au niveau fédéral, rien n’empêche les États d’avoir leurs propres lois dans ce domaine. C’est notamment le cas en Californie et dans le Colorado qui ont inscrit la neutralité dans leur législation.