Run Forrest, Run !

Des centaines de milliers de participants et spectateurs de courses à pied organisées en France ont été soumis à un logiciel de reconnaissance faciale dans les douze derniers mois. Un procédé contraire au RGPD, déployé dans un contexte de promotion accrue de ce type de technologies.
Depuis un an, les visages de centaines de milliers de personnes, participantes ou spectatrices de 48 événements sportifs organisées partout en France, ont été soumis illégalement à un système de reconnaissance faciale, révèle Le Monde.
Lors de ces événements publics, les organisateurs proposent régulièrement aux coureuses et coureurs de récupérer des photographies d’eux prises pendant l’événement – majoritairement des courses à pied. Pour y parvenir, il a longtemps fallu associer à la main le numéro du dossard de la personne achetant les photos à celui présent sur les différents clichés.
En permettant d’automatiser le processus, l’intelligence artificielle (IA) a simplifié le procédé. Mais l’un des principaux fournisseurs de ce type de service, PhotoRunning, a décidé de se tourner vers de la reconnaissance faciale. C’est là que le bât blesse, explique le quotidien : pour identifier automatiquement un coureur, les visages de toutes les personnes présentes sur les photographies doivent être soumis à la technologie.
320 000 personnes concernées, dont des mineurs
Ce type de technologie est pourtant interdit dans un tel contexte par le Règlement général sur la protection des données (RGPD). Seule exception possible : le recueil du consentement univoque, et sans subir de contrainte, après que la personne a été « informée de manière détaillée ».
En l’occurrence, la majorité des organisateurs de course contactés par Le Monde a renvoyé le journal vers le règlement de leurs épreuves, dans lesquels la reconnaissance faciale n’est pas mentionnée. Par ailleurs, une personne qui n’accepterait par lesdits règlements se verrait dans l’incapacité de courir.
Au total, sur les douze derniers mois, le journal calcule que plus de 320 000 personnes sont susceptibles d’avoir été soumises au système de Photo Running. Dans le lot, le quotidien a réussi à récupérer des clichés représentant trois spectateurs du semi-marathon de Bordeaux, démontrant que leurs visages aussi avaient été soumis à la technologie biométrique.
Les trois personnes étaient par ailleurs mineures. Si PhotoRunning a d’abord déclaré que « la reconnaissance faciale, qui suppose un consentement exprès, n’intervient que pour les participants en ayant fait la demande expresse », elle n’a pas précisé pourquoi le média avait été en capacité de récupérer les images de la course SaintéGones. Les plus jeunes participants de l’édition 2024 de la course avaient six ans.
Le sport, terrain régulier d’expérimentation
Les révélations du Monde ont lieu dans un contexte de renouvellement des pressions pour l’utilisation de la reconnaissance faciale en contexte sportif ou culturel.
L’expérimentation a été lancée dans le cadre des Jeux Olympiques de Paris. Depuis, les appels à allonger sa durée de la vidéosurveillance algorithmique dans l’espace public se sont fait entendre avant même la publication du rapport d’évaluation. Publiées début janvier, les conclusions du document doutaient pourtant clairement de l’efficacité du dispositif.
Par le passé, d’autres spectateurs d’événements sportifs ont aussi eu la surprise de se découvrir soumis à des expérimentations algorithmiques. Ainsi, des supporters du FC Metz, qui ont appris par voie de presse avoir servi aux tests algorithmiques de la société Two-I.
Ce qui change, c’est peut-être l’état du débat public sur la surveillance généralisée. En 2021, des centaines de milliers de personnes descendaient ainsi dans la rue pour lutter contre la loi sécurité globale. Trois ans plus tard, 76 % des personnes interrogées par le think tank Continuum lab (.pdf) se déclaraient d’accord avec l’idée que des caméras présentes dans l’espace public permettent « de mieux assurer la sécurité ». Seules 22 % considéraient que cela « porte atteinte aux libertés individuelles et favorise la surveillance de masse ».
Dans le domaine public, en particulier celui du maintien de l’ordre, les rapports s’accumulent, qui interrogent pourtant le coût de ces dispositifs et le manque d’évaluation de leur efficacité réelle.
Dans le domaine du loisir, comme celui dans lequel PhotoRunning a déployé sa technologie, difficile en revanche de savoir ce que les participants d’un événement sportif pensent de l’usage de reconnaissance faciale sur leur visage pour fournir un service payant de photographie. Au moins un participant au semi-marathon organisé à Montpellier le 6 avril 2024 a déposé plainte auprès de la CNIL. D’après Le Monde, celle-ci a adressé un courrier à l’organisateur.